Notre première sortie automnale nous conduit à Nyons, en Drôme provençale, au pays de l’huile d’olive. Nous voici réunis tout d’abord dans l’atelier de la maison Fert, dernière scourtinerie de France, qui perpétue depuis 4 générations un savoir-faire traditionnel, la production des paniers utilisés dans l’extraction de l’huile d’olive. Frédérique Fert et sa fille Sophie se mettent donc à l’ouvrage, et c’est dans le cliquetis entêtant des machines qu’elles nous retracent l’histoire de cette entreprise familiale. En 1880, Ferdinand Fert, un ouvrier ferronnier qui s’était installé dans cette ancienne magnanerie pour faire du tissage, décide de se lancer dans la production de scourtins. Deux ans plus tard, il met au point la première machine à tisser les scourtins et en dépose les brevets. La fibre d’alfa traditionnellement utilisée s’avérant trop fragile pour la mécanisation, il recourt à la fibre de coco, que la famille Fert continue de nos jours d’importer du Kérala indien. Les machines étaient alors actionnées par deux grandes roues à aubes installées sur le canal de l’Eygues. En 1952, les moteurs électriques prennent le relais pour entraîner les courroies. L’entreprise est alors florissante et emploie jusqu’à une quarantaine de personnes. Mais son essor est entravé par le terrible hiver de 1956. Les oliviers, tués par le gel, sont remplacés par la vigne et les arbres fruitiers. Désormais, la famille Fert introduit le nylon alimentaire dans la confection de filtres à vin, à huile d’olive et à cidre. La production est surtout réorientée vers les objets de décoration (paillassons, tapis, corbeilles, dessous de plat,…) toujours tissés en fibre de coco, mais avec une grande palette de couleurs et des dimensions plus grandes, pour s’adapter aux envies d’une nouvelle clientèle. La reconversion semble réussie: bien que la scourtinerie Fert n’emploie plus que cinq femmes, les commandes sont au rendez-vous et suffisent à assurer la pérennité de l’entreprise.
Tout au long de cet exposé, mère et fille ne cessent de s‘activer de sorte que toutes les étapes de fabrication nous soient accessibles. Ainsi, une première machine transforme sous nos yeux un écheveau de coco en bobine de fil. Puis nous assistons au tissage de la trame du scourtin: le fil s’enroule autour d’aiguilles disposées comme les rayons d’une roue de bicyclette. La galette obtenue est retirée puis disposée sur une troisième machine qui enlève les aiguilles pour les remplacer par de la corde. La dernière étape est entièrement manuelle: elle consiste à finir le centre, corriger les irrégularités du tramage et tirer les boucles pour un arrondi parfait. A chaque étape, le travail des machines doit être régulé et accompagné par une intervention humaine, ce qui demande beaucoup d’énergie et de concentration. La production reste donc encore pour une bonne part artisanale. Le jeu des couleurs utilisées dans la teinture des fils laisse aussi libre cours à l’imagination créatrice. Ce sont autant d’attraits qui contribuent à séduire les générations successives et à maintenir cette activité dans le cadre familial. On ne s’étonnera donc pas du classement en 2015 de cette entreprise au titre du Patrimoine Vivant, le label d’Etat qui distingue les savoir-faire d’excellence. Un détour par le petit musée conclut avec bonheur la démonstration technique de Frédérique et Sophie, avant le passage en boutique où s’exposent toutes les déclinaisons décoratives du tissage de la fibre de coco.
Les emplettes terminées, nous nous retrouvons au Bistrotteur pour la pause déjeuner. Tandis qu’on s’active aux fourneaux, Guillaume, banquier devenu restaurateur par passion, retrace l’historique du lieu, une ancienne conserverie reconvertie. Puis c’est au tour de Jean-Pierre et Marie de nous rappeler l’importance de l’olivier pour la région. Petit moment de nostalgie avec l’intervention de Françoise, qui tenait avec son mari Primo Tassan l’Auberge de France sur la place de l’Horloge, l’occasion d’évoquer quelques anecdotes autour de ce haut lieu de la culture culinaire avignonnaise, qui fut longtemps le QG gastronomique de la compagnie Vilar.
Le repas se termine avec un grand bravo au chef David pour la qualité de ses produits et de sa cuisine.
Non loin de là, Gérard Vial nous accueille au musée des vieux moulins. Ce patrimoine familial privé s’étend sur une surface au sol de 350 m² au pied du Pont roman. Gérard évoque tout d’abord l’importance de l’Eygues qui contribua dès le Moyen-Age au développement de la cité de Nyons. L’oléiculture est restée longtemps l’activité dominante de la région, et l’on comptait près d’une vingtaine de moulins à huile avant 1956, année du grand gel qui détruisit près de 90% des oliviers. Les moulins du XVIIe et du XIXe que nous visitons, dont l’un a été creusé à même la roche, étaient reliés au canal par une roue dentée. Ils ont conservé tout leur équipement d’origine, ce qui permet à notre guide de reconstituer in situ les différentes étapes de la production oléicole: les olives étaient tout d’abord calibrées, puis écrasées par des meules de calcaire. La pâte obtenue était placée dans des scourtins avant pressage. L’huile filtrée par les scourtins, plus légère que l’eau, était recueillie en surface dans des bacs de pierre puis versée dans de grandes jarres vernies. On laissait reposer les margines (résidus liquides issus de l’extraction) dans des bacs pour récupérer le restant d’huile destiné à un usage non alimentaire, comme le graissage des outils. Les grignons (résidus solides) étaient utilisés comme combustible ou engrais. Après quelques échanges animés sur la qualité des huiles d’olives actuelles, Gérard nous conduit à la savonnerie du XVIIIe, découverte en 1992 puis dégagée des limons qui l’obstruaient du fait des crues successives de la rivière toute proche.
Cette savonnerie est aussi liée à la production de l’huile d’olive, qui entre dans la composition du savon, associée à de l’eau et de la soude (les cendres végétales). Ce mélange était chauffé dans des chaudrons, la pâte obtenue étant ensuite étalée encore chaude dans de grands moules (les mises) pour y sécher. On y découpait enfin des pains d’une trentaine de kg. Ce savon était utilisé pour assouplir le linge, et sa production était liée au travail de la soie. Le déclin de la sériciculture a conduit à la disparition de la savonnerie, vers 1800. Après une dernière pause dans la cuisine provençale reconstituée avec son mobilier d’origine, qui accueillait l’hiver les travailleurs du moulin, nous nous laissons tenter par la dégustation en boutique de différentes huiles d’olive et des fameuses olives noires de Nyons. Celles-ci sont réputées pour leur douceur et bénéficient (ainsi que l’huile d’olive) d’une AOC depuis 1994, ce qui a permis aux plantations de redémarrer. N’hésitez pas à en faire grignoter quelques-unes à vos convives d’apéros festifs, vous contribuerez ainsi à faire connaître la tanche, « cette variété d’olive unique aux délicieuses notes fruitées, ridée par les premiers frimas de l’hiver »…
Quelques moments de la journée en vidéo :