la maison des Compagnons à Avignon

Une fois n’est pas coutume, nous nous retrouvons ce samedi 16 mars au cœur d’Avignon, dans l’immense vestibule de l’hôtel de Montaigu, demeure classée du XVIIe. Les plafonds à la française, le magnifique escalier à l’impériale tout comme les toiles de Nicolas Mignard (1606-1668) présentent un intérêt patrimonial certain, mais c’est une autre mémoire qui nous réunit en ces lieux, celle du Compagnonnage et de ses traditions ancestrales. En effet, depuis les années 70, cet hôtel particulier, propriété de la ville d’Avignon, est devenu l’un des sièges des Compagnons du Tour de France.

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Pour évoquer cette institution rarement ouverte au public, trois guides nous accueillent successivement: Jean-Pierre Courtin, fondateur de la Chambre compagnonnique d’Avignon, Julien Baudet, actuel président de la fédération d’Avignon, et Pierre-Antoine Angelloz, compagnon menuisier dit « Savoyard la clé des coeurs » (c’est le plus jeune…). C’est à Jean-Pierre Courtin, mandaté en 1968 par ses compagnons gavots que l’on doit la création du siège d’Avignon. Ce Tourangeau d’origine souligne d’emblée la complexité des institutions compagnonniques, héritage de l’histoire et des rivalités qui opposèrent souvent les compagnons entre eux, même si la tendance actuelle est à la réconciliation. Ce refus des divisions avait déjà été prôné en son temps par leur illustre prédécesseur, Agricol Perdiguier, natif de Morières, devenu écrivain et député sous la Seconde République. Nos trois compagnons appartiennent aujourd’hui à une fédération qui regroupe 7 sociétés autonomes, mais par delà les différences de rites ou d’organisation, les compagnons partagent tous les mêmes valeurs héritées des bâtisseurs du Moyen Age, et qui associent savoir-faire et savoir-être: un compagnon doit en effet faire preuve de qualités professionnelles, mais aussi de moralité. Le goût du partage, la vie communautaire sont également au coeur de l’idéal compagnonnique.

En cela, le siège d’Avignon joue pleinement son rôle: c’est à la fois un lieu de vie pour la vingtaine de jeunes menuisiers, ferronniers et tailleurs de pierre qu’il héberge grâce à son réfectoire et à son dortoir, mais aussi un lieu de de formation et d’enseignement avec cours du soir gratuits et travaux sur planches à dessin. Pierre-Antoine Angelloz, actuellement « rôleur », gère le roulement de ces jeunes qui se succèdent au siège au gré de leur Tour de France. L’occasion pour lui de rappeler le parcours classique d’un futur compagnon: le jeune professionnel, avec un diplôme de base en poche (un CAP par exemple), voyage pendant plusieurs années d’un siège à l’autre en tant que salarié embauché chez un compagnon ou un artisan, ce qui lui permet de découvrir une grande variété de techniques, mais constitue aussi une expérience de vie. Au cours de son périple, cet « itinérant » peut devenir « affilié » en réalisant une première maquette. Quelques années, plus tard, il peut être reçu compagnon, après une initiation symbolique et la réalisation d’une seconde maquette (le chef-d’œuvre). Lors de ces deux étapes seront examinées à la fois ses qualités professionnelles et morales. Mais un compagnon se doit aussi de transmettre son savoir et son expérience durant deux années en moyenne, à l’instar de Pierre-Antoine, chargé de l’accueil et de l’embauche des itinérants et affiliés du siège d’Avignon.

Les maquettes exposées depuis une cinquantaine d’années à l’hôtel Montaigu, chacune étant le fruit de centaines d’heures de travail réalisées en sus du travail salarié, témoignent de cette exigence d’excellence revendiquée par les compagnons. On se croirait parfois égaré dans un bric-à-brac surréaliste, parmi les escaliers tournants donnant sur le vide, les portails, les charpentes toute biscornues, les kiosques en bois… On reconnaît ça et là une chistera basque, un tourne-disque en marqueterie tout ce qu’il y a de plus rétro… Seul le professionnel saura distinguer les difficultés techniques concentrées dans ces objets improbables, avec leurs arrondis, arêtes, et emboîtements savamment calculés, tracés à l’équerre et au compas, mais aussi à l’ordinateur… Un grand merci à nos trois intervenants pour nous avoir présenté cette institution séculaire et pourtant si moderne à bien des égards.

La pause déjeuner nous permet de rejoindre un autre lieu de mémoire bien différent sur la place Saint-Didier, le Grand Café Barretta, dont Richard Hémin, le nouveau propriétaire, nous retrace la destinée. Au XVIIIe, il s’agissait du premier café d’Avignon, le Café Suisse, racheté en 1784 par les frères Barretta. Pour la petite histoire, on aurait pu y croiser le jeune Bonaparte, Frédéric Mistral et peut-être même Victor Hugo… Royalistes et Républicains s’y sont gaiement écharpés. Bien plus tard, le café devient un magasin de jouets, puis une enseigne de mobilier en bois pour jardin et enfin un club de sport! Fermé depuis une quinzaine d’années, le Grand Café Barretta a été récemment repris et rénové pour en faire un lieu de vie, avec scène de théâtre, expositions de peintures et de photos. C’est dans l’ancienne cour/terrasse devenue salle de restaurant que nous accueillons un autre passeur de mémoire, Jean Mazet. Cet historien et collectionneur passionné, auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la cité d’Avignon, s’intéresse aux petits faits et lieux pittoresques, vieux cafés, boutiques d’antan et tramways redevenus depuis à la mode. Ses sources? Les archives de presse, les cartes postales, les programmes et menus de cabarets, les petits objets qu’il chine dans les brocantes, comme ces soucoupes et jetons qui servaient de monnaies dans les cafés des Années Cinquante. Bref, un petit moment de nostalgie bien agréable, qui nous rappelle que l’histoire peut aussi se nourrir du quotidien.

 

 le clip d’annonce de la sortie