Il est 10h30, la salle des mariages de la mairie de Pernes-les-Fontaines se remplit tranquillement ce samedi 13 mai. Cependant, les deux chaises enrubannées réservées aux futurs mariés resteront vides encore quelques heures, car Pierre Gabert, premier édile de la commune, accompagné de son premier adjoint Didier Carle, nous reçoit pour présenter avec sa fougue habituelle l’une des villes les plus dynamiques du Vaucluse.
Le secret de cette réussite: avoir joué la carte du patrimoine comme élément moteur du développement de la ville. Pernes, autrefois capitale du Comtat Venaissin, puis détrônée par sa voisine Carpentras, aurait pu connaître le lent déclin des bourgades rurales, à l’écart des grandes voies de communication. Mais son histoire l’avait dotée d’un riche passé architectural, et d’un centre ancien peu dégradé qui ne demandait qu’à être mis en valeur. Bilan d’une trentaine d’années d’efforts: 26 monuments classés pour une commune de 11 000 habitants, un label «ville métiers d’arts », avec pas moins d’une quinzaine d’artisans d’art installés dans le centre ancien, une fête qui permet tous les 4 ans de sortir des greniers de magnifiques costumes comtadins. Ajoutons à cela plusieurs musées à l’accès totalement gratuit, et ces fameuses fontaines (pas moins d’une quarantaine) qui sont autant de haltes rafraîchissantes dans le circuit de découverte proposé aux touristes. Petit témoignage concret de cet engagement municipal au service du patrimoine: Didier Carle nous présente en avant-première de magnifiques peintures murales du XVIIe, qu’il a lui-même découvertes fortuitement dans l’une des salles voisines et qui sont actuellement en cours de restauration. Puis c’est à Florence Bombanel que revient la tâche de nous guider dans les ruelles de Pernes, autour du thème de l’eau qui a largement contribué à la prospérité agricole de la région autant qu’au confort de ses habitants.
Première halte devant le canal de Carpentras, dérivé de la Durance au XIXe et dont les ramifications permettaient d’irriguer vergers et jardins. L’abondance de fruits et légumes a favorisé l’implantation de plusieurs conserveries, dont une haute cheminée témoigne encore de l’existence. C’est l’occasion de découvrir aussi notre première fontaine dite de « la lune »: Florence Bombanel nous apprend que c’est la découverte d’une source fin XVIIe qui est à l’origine de la construction des premières fontaines de la ville. Nous poursuivons notre visite le long de la Nesque qui nous mène à la porte Notre-Dame et sa fontaine du Cormoran, datée de 1761 et décorée de personnages issus de la légende de Midas. Plus loin, l’hôtel de Cheylus (XVIe) nous ouvre ses portes pour un accès privilégié à un vestige de bain juif aménagé en partie basse et alimenté par la nappe phréatique. Ce bain privé était utilisé pour les conversions et les rites de purification.
L’occasion pour Florence d’évoquer les vicissitudes de cette communauté installée de longue date en Provence. Quelques ruelles plus loin, un autre hôtel particulier du XVIe nous ouvre exceptionnellement ses portes, grâce à la gentillesse de ses propriétaires actuels: l’hôtel de Tulle Villefranche. Ce comte, arrivé avec les Papes d’Avignon, en avait fait à l’origine sa maison de campagne. Les travaux de restauration des maîtres de maison, passionnés de patrimoine, ont sauvé de la ruine ce bâtiment devenu école religieuse avant d’être totalement abandonné.
Notre parcours s’achève devant la devanture d’une ancienne draperie datée de 1870, tombée en faillite puis rachetée par la mairie. Au rez-de-chaussée, (une autre) Florence nous accueille dernière un long comptoir de bois (« la banque ») et nous présente sur les rayonnages quelques productions d’époque, aujourd’hui disparues faute d’usage: de lourds draps de lin brodés, des machines à coudre Singer (déjà…) flanquées de leurs décors dorés, d’élégants chapeaux claque, des coiffes et ombrelles, des boutis qu’on se gardera bien de confondre avec les couvertures piquées… Au premier étage, les vitrines du musée du costume comtadin exposent les vêtements portés par les Pernois(es) des XVIIIe et XIXe siècles, de la simple blouse du paysan à la robe Empire de l’aristocrate, avec des descriptifs aussi mystérieux que poétiques: « corsage à basque, caraco en indienne, manche ballon… »
Et c’est Sylvette Gabert, présidente du Conservatoire du costume comtadin, qui clôture cette visite dans l’atelier de couture adjacent, en compagnie de quelques adhérentes toute affairées à coudre ou restaurer de nouveaux costumes.
On l’aura compris, c’est la richesse de ce tissu associatif qui permet aussi à Pernes de valoriser son patrimoine exceptionnel, dans un esprit de partage et de rencontre bien éloigné des travers de la culture aseptisée.